Il était une fois, il y a de cela très très longtemps, un couple de jardiniers amoureux fous l’un de l’autre. Le jardinier se réjouissait du rire en cascade de sa jardinière, de son énergie pétillante et de son regard aussi doux qu’un rayon de lune. Quant à la jardinière, elle admirait la détermination de son homme tout autant que son cœur d’enfant s’émerveillant de tout et de rien. Ensemble, il leur semblait que le monde avait des couleurs plus étincelantes, que les oiseaux affinaient leur chant et que même les saveurs s’enlaçaient pour former des plats plus savoureux.
C’est durant un hiver rigoureux, blottis devant leur feu de foyer, qu’il leur vint l’idée de créer leur propre jardin. Ils en rêvaient, faisant des plans, repensant chaque détail : il leur faudrait d’abord labourer la terre, dénicher quelques pelles, une bêche, un arrosoir… Et comme ils adoraient les carottes et les radis, le choix ne fut pas bien difficile lorsqu’ils se rendirent au marché pour acheter les semences. Ainsi tout serait simple puisqu’ils avaient déjà beaucoup lu sur la culture de ces légumes savoureux. Ils savaient donc à quelle distance planter les graines, quand les arroser, qu’il fallait éviter de trop les fertiliser, etc.
C’est donc remplis de confiance qu’ils mirent le nez dehors dès que les jours s’allongèrent assez pour que l’épais tapis de neige ait laissé place à une terre dénudée. Désherbant, labourant et creusant en chantant, ils étaient bien fiers de leur jardin ! Bientôt, les rayons du soleil se faisant de plus en plus ardents, vint le moment de semer les petites graines qu’ils avaient soigneusement gardées tout l’hiver. Une à une, ils leur offrirent un petit coin bien à elles, formant ainsi de belles rangées bien droites. Ils mettaient tant d’amour dans leurs gestes qu’ils étaient persuadés qu’ils récolteraient bientôt de savoureux légumes !
Ce qu’ils n’avaient pas remarqué, c’est que parmi leurs semences, s’était égarée une semence inconnue. Elle-même ignorait qu’elle n’était ni une carotte, ni un radis ! Elle se réjouissait donc d’avoir été accueillie chez des jardiniers aussi aimants, attendant de voir pousser sous ses pieds, une belle racine rouge ou orange, bien vigoureuse et savoureuse.
Les jardiniers passaient chaque jour entre les rangs, guettant impatiemment l’apparition des petites tiges vertes qui témoigneraient de la naissance de leur jardin. Les tiges de radis apparurent les premières, fières de leur rapidité ! Les jardiniers étaient en liesse, émerveillés de pouvoir enfin contempler le fruit de leur labeur ! Mais ils continuaient de faire le guet, excités par l’arrivée tant attendue des pousses de carottes. Et lorsqu’elles sortirent timidement le bout du nez, les jardiniers se mirent à danser !
La petite graine perdue, commençait à avoir bien hâte de goûter la chaleur du soleil sur sa tige… Les jardiniers avaient bien remarqué que rien n’avait poussé à cet endroit, mais ils crurent qu’ils avaient oublié d’y glisser une semence, et n’en firent pas de cas. La petite graine avait bien envie de leur crier qu’elle était bien là, mais elle dut se résigner au silence, tentant de toutes ses forces de faire éclore sa tige, en vain.
Puis, un beau jour, alors que les carottes et les radis avaient déjà un splendide feuillage, la petite semence égarée réussit à percer le sol de sa tige encore timide. Elle aurait bien voulu que les jardiniers la remarquent et s’en réjouissent, mais elle passa inaperçue un jour… puis deux… puis trois… Jusqu’à ce qu’une grande feuille se déploie tout d’un coup, comme ça ! C’est le jardinier qui la remarqua le premier. Mais au lieu de s’exclamer de joie, il appela sa bien-aimée, le regard fixé sur cette feuille incongrue. La jardinière s’approcha et ses yeux s’écarquillèrent dans un mouvement de surprise. Ils se regardèrent, médusés… Puis un élan d’amour peu commun les saisit : cette petite pousse aurait tout autant d’amour et de soin que les autres, advienne que pourra !
Ils se mirent donc à la traiter avec la même ferveur que ses voisines. Mais la petite semence grandissait avec la honte vissée au cœur. Était-elle laide ? Saurait-elle plaire à ses jardiniers ? Et maintenant qu’elle était sortie de terre, il lui semblait qu’elle poussait de façon démesurée ! En peu de temps, elle avait dépassé la taille des carottes et des radis. « Mais qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? » se demandait-elle. Même les jardiniers commencèrent à s’inquiéter : la semence poussait si vite, qu’elle aurait tôt fait d’envahir tout l’espace des autres légumes… Ils entreprirent donc de tailler ses feuilles et de contenir sa tige dans son petit espace. Mais en vain ! La semence, bien malgré elle, prenait des proportions gigantesques ! De plus, aucune racine rouge ou orange ne semblait vouloir prendre forme sous sa tige. Et malgré que les jardiniers lui donnaient tout autant de soin qu’au reste du jardin, ses feuilles semblaient molles et pâles. « Quel drôle de plant ! » se disaient-ils. « Peut-être est-ce une de ces mauvaises herbes ? Nous devrions peut-être l’arracher…» Mais ils ne pouvaient s’y résigner : ils s’étaient quand-même beaucoup attachés à ce plant qui semblait bien envahissant…
Ils firent donc appel à un vieux jardinier reconnu pour son savoir et son amour légendaire pour tout ce qui sortait de l’ordinaire. Dès que le jardinier mit le pied dans le jardin, il remarqua le plant qui leur donnait tant de fil à retordre. Il s’en approcha, palpa les feuilles découpées et les tiges recroquevillées. Il émietta une poignée de terre qui se trouvait au pied de la plante déconfite. Puis il se leva, un large sourire aux lèvres, annonçant aux jardiniers qu’ils avaient là un magnifique plan de citrouilles !
« Des citrouilles ? Mais nous n’avions pas prévu de manger des citrouilles : nous avions planté des carottes et des radis ! » Alors le vieux jardinier leur décrivit le goût sublime de la citrouille ainsi que quantité de plats qu’ils pourraient cuisiner avec ce légume qui les nourrirait, bien après que les carottes et les radis auraient étés récoltés. Et les deux jardiniers tombèrent à nouveau en amour avec leur plant surprise. Le vieux jardinier leur expliqua que le plant avait besoin d’espace, et qu’ils pourraient donc le laisser s’étendre à la place des radis qui étaient déjà bien mûrs. Puis il leur recommanda de fertiliser le plant avec de grandes poignées de compost et d’attendre bien sagement de voir apparaître de splendides citrouilles rondes et savoureuses !
Les deux jardiniers suivirent les conseils du vieil homme, le cœur rempli d’amour et d’espoir. Ils apprirent ainsi au fil du temps, à prendre soin de ce plant différent. Rapidement, la petite semence regagna de la vigueur et s’autorisa à étendre sa tige et son feuillage sur le sol tout autour d’elle. Vinrent ensuite de magnifiques fleurs jaunes que les abeilles et les bourdons prirent plaisir à venir butiner. Puis lentement, beaucoup plus lentement que les carottes et les radis, de magnifiques fruits ronds se mirent à mûrir, d’abord d’un vert sombre, puis explosant d’un bel orangé lumineux ! Les jardiniers, émus de tant de générosité de la part de ce plant qui les avait bien inquiétés, récoltèrent de nombreuses citrouilles dont ils firent mille et un plats ! Enfin, ils nettoyèrent soigneusement chacune des graines de citrouilles pour leur réserver un grand espace dans leur prochain jardin. Et ils se rappelleront toujours de ce jour où l’inattendu est venu mettre de la saveur dans leur vie…