Maturation du cerveau et affectivité

Maturation du cerveau et affectivité
Contrairement aux idées reçues, le nombre maximal de cellules nerveuses est atteint à la naissance et décroît tout au long de notre vie. En d’autres mots, nous perdons des neurones quotidiennement et ce, même si nous prenons soin de notre santé. Pourtant, les capacités de notre cerveau se développent de plus en plus tout au long de la vie, du moins si nous le maintenons actif : nous apprenons, nous mémorisons, nous nous forgeons des souvenirs, nous raffinons nos mouvements, etc. Par contre, le processus de dégénérescence ou un déficit de la maturation du cerveau peut perturber cette réorganisation permanente du cerveau.

LA PLASTICITÉ CÉRÉBRALE

En fait, le nombre de neurones se réduit tout au long de la vie, mais les connexions entre les neurones continuent à se créer et se défaire, selon que le réseau de neurones est utilisé ou non. À cause de la mortalité neuronale naturelle, aucune cellule nerveuse n’est indispensable au fonctionnement global du cerveau. Heureusement d’ailleurs, car si nous en perdions une « cellule indispensable », nous perdrions toutes les informations qu’elle aurait mémorisées. Ce qui fait la force de notre cerveau, c’est sa capacité à se réorganiser continuellement au gré des expériences que nous faisons à chaque instant. Chaque fois que des neurones sont stimulés, au même instant, ils s’envoient mutuellement des signaux qui permettent d’augmenter le nombre de points de contact entre eux: les synapses. Plus il y a de synapses entre deux neurones, plus les informations entre ces deux neurones passent bien. Des réseaux de neurones se forment lorsque des dizaines, des centaines, voire des millions de neurones sont interconnectés, avec de nombreuses synapses qui unissent les neurones. Lorsque quelques neurones sont alors stimulés, c’est l’ensemble du réseau qui est dès lors activé en quelques millièmes de secondes. Le processus de maturation du cerveau repose également sur le nombre de stimulations, leur fréquence et leur durée. Plus le nombre, la durée et la fréquence sont élevés, plus le réseau se renforce en créant de nouvelles synapses. A contrario si le réseau est moins activé, le nombre de synapses se réduira. Ainsi, le processus de maturation est à la fois évolutif (augmentation de synapses) et involutif (diminution de synapses) en fonction de l’expérience quotidienne des personnes. Bien sûr, le processus de maturation est dépendant de la génétique, mais aussi du régime alimentaire et de l’état émotionnel qui vont améliorer ou limiter la capacité du cerveau à se réorganiser, voire induire une destruction des neurones dans le cas de malnutrition ou de stress émotionnel chronique. L’expérience vécue renforce ou déforce les liens physiologiques entre deux neurones en augmentant ou réduisant le nombre de synapses selon qu'elles sont ou non activées. Les liens entre les neurones évoluent donc en fonction des expériences vécues par les individus. C’est le phénomène que l’on nomme la plasticité du cerveau, c’est à dire la réorganisation continue des réseaux de neurones et leurs interconnections. LA MATURATION DU CERVEAU ET L’AUTONOMIE AFFECTIVE Qu’est-ce que cela veut dire pour l’autonomie émotionnelle des enfants et des adultes ? Cela veut dire que si une stimulation se répète continuellement, surtout si elle est vécue et ressentie comme émotionnellement importante, cette stimulation créera un réseau de neurones qui va mémoriser l’expérience et les réactions qui en découlent. Chaque fois qu’une situation similaire se représentera, elle renforcera le réseau. Le réseau peut inclure différentes zones du cerveau et se réactiver parfois même sans qu’une stimulation externe ne survienne, tel que cela l’a été démontré par les travaux théoriques du Montréalais Donald O. Hebb sur les assemblées cellulaires, et des chercheurs qui ont validé son modèle théorique. Dès lors, pour apprendre à déclencher de nouvelles expériences, il faudra donc explorer de nouvelles possibilités. Petit à petit, le réseau de neurones s’étoffe. En choisissant consciemment de nouvelles réponses au stimulus original, nous pouvons déclencher le renforcement des réponses aux stimuli émotionnels qui correspondent mieux à la manière dont nous voulons dorénavant répondre. Petit à petit, les anciennes réactions, devenues désuètes, ne seront plus déclenchées et les connections nerveuses inutiles se rétracteront. De nouveaux comportements, généralement plus adaptés, seront dès lors plus facilement utilisables. C’est dans un tel contexte que le modèle explicatif de Porges prend une grande importance. Pour rappel, un enfant ou un adulte qui a mémorisé de nombreuses expériences de stress émotionnel tend à répondre à ce stress par des réactions défensives. Les sensations de peurs (impliquant les complexes amygdaliens ou l'amygdale) génèrent des signaux de « survie » qui connectent directement à l’hypothalamus et au tronc cérébral pour générer les réactions défensives. Or, le cortex préfrontal est en interaction avec le système émotionnel (dont l’amygdale) et avec le tronc cérébral (les zones de contrôle du système cardiovasculaire, respiratoires, parasympathique et sympathique). Une fois arrivé à maturité, l’ensemble de ces neurones forment un immense réseau de neurones que Porges appelle le système nerveux social, car son activation permettrait un rééquilibrage de l’organisme qui est confronté à de nouvelles expériences de stress émotionnel. Par ce rééquilibrage, l’être humain pourrait apprendre à réduire la force inconsciente, mais puissante, des réactions défensives. Ainsi, selon Porges, le système nerveux social modulerait les réactions défensives inscrites dans le réseau entre l’amygdale et les noyaux du tronc cérébral afin de tempérer les émotions ressenties par une présence à soi accrue, par la contenance et par un contrôle conscient de la respiration abdominale et thoracique. Les situations anciennement vécues, ressenties comme un danger pour l’intégrité de l’être, deviendront moins invasives et le système émotionnel pourra faciliter une réorganisation du cerveau. Concrètement, en faisant l’expérience de contacts relationnels sains, nous pouvons apprendre progressivement à explorer le bien-être et découvrir les attentes et les peurs inconscientes qui limitent la qualité de nos relations. En augmentant notre senti corporel, acceptant de ressentir l’émotion de plus en plus longuement avant que les mécanismes de défense ne se déclenchent, nous pouvons découvrir des réponses plus douces et à répondre de manière plus harmonieuse aux stimuli émotionnel. Le cerveau qui gère l’expérience émotionnelle peut se reconfigurer progressivement et permettre la mémorisation de nouvelles réponses à ces stimuli. Publication initiale : 15 Septembre 2011
RÉFÉRENCES
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