Ces différentes difficultés que peuvent rencontrer les enfants durant leur scolarité sont la conséquence d'une maturation du cerveau inadéquate. Certains indices comportementaux peuvent persister, mais si les structures neurologiques ne sont pas atteintes, l'éducation ou la rééducation psychomotrice, ainsi que l'ergothérapie, permettent à ces enfants de développer leur cerveau ou, du moins, de mettre en place des stratégies compensatoires. APRAXIE, DYSPRAXIE ET DYSLEXIE Introduit par Steinthal en 1871, le concept d'apraxie comprenait des composantes sensorielles, motrices et cognitives. Quelques années plus tard, Liepmann proposa de restreindre ce concept à un trouble neuromoteur, excluant l'agnosie, la négligence et les troubles attentionnels même si ces habiletés influencent l'expression du geste. L'apraxie regroupe des désordres neurologiques de comportements moteurs intentionnels appris qui ne peuvent être expliqués par un déficit moteur élémentaire. C'est en tout cas la définition que pro
Ces différentes difficultés que peuvent rencontrer les enfants durant leur scolarité sont la conséquence d'une maturation du cerveau inadéquate. Certains indices comportementaux peuvent persister, mais si les structures neurologiques ne sont pas atteintes, l'éducation ou la rééducation psychomotrice, ainsi que l'ergothérapie, permettent à ces enfants de développer leur cerveau ou, du moins, de mettre en place des stratégies compensatoires.
APRAXIE, DYSPRAXIE ET DYSLEXIE
Introduit par Steinthal en 1871, le concept d'apraxie comprenait des composantes sensorielles, motrices et cognitives. Quelques années plus tard, Liepmann proposa de restreindre ce concept à un trouble neuromoteur, excluant l'agnosie, la négligence et les troubles attentionnels même si ces habiletés influencent l'expression du geste. L'apraxie regroupe des désordres neurologiques de comportements moteurs intentionnels appris qui ne peuvent être expliqués par un déficit moteur élémentaire. C'est en tout cas la définition que proposent autant Rothi et ses collaborateurs que Paillard. Enfin, Feyereisen et ses co-chercheurs ont montré que l'apraxie survient dans 30~50 % des cas de lésions unilatérales de l'hémisphère gauche contre seulement 10% de lésions droites.
Cinq types d'apraxies illustrent la variété de déficits et des sites de lésion. Chaque type présente des niveaux de complexité différents en fonction de l'interruption du processus de traitement des informations motrices. Pour le chercheur, les déficits permettent de distinguer les fonctions des aires corticales dans la planification et l'exécution du geste. Cela nous offre donc une idée précise de la manière dont un geste est "fabriqué" dans le cerveau avant d'être exécuté par les membres corporels...
D'abord, l'apraxie idéomotrice est associée à une lésion du cortex postérieur pariétal (PP) et à l'incapacité d'exécuter, sur demande, un geste symbolique particulier (ex: un signe de croix) qui est déclenché automatiquement dans une situation émotionnelle: l'idée du geste est présente mais ne peut être exécutée sans erreurs spatio-temporelles.
Ensuite, l'apraxie motrice, associée aux lésions du cortex prémoteur (PM), est l'incapacité de réaliser des gestes symboliques habituels (ex : écrire manuellement) ou des habiletés motrices (ex : jouer d'un instrument de musique): c'est la perte du concept de la nature du geste à réaliser. Également, l'apraxie idéatoire (lésions moins précises) est l'incapacité de produire un enchaînement d'une séquence d'actions élémentaires requise pour réaliser un geste complexe reconnaissable (ex : se faire un sandwich).
Enfin, l'apraxie conceptuelle est associée à l'incapacité de reconnaître l'utilité d'un objet pour atteindre un but précis et l'apraxie constructive, associée à une lésion pariétale, est l'incapacité de dessiner des objets 3D ou d'assembler des cubes.
Concomitant à la dyslexie, la dyspraxie de l'enfant suggère une relation étroite entre le langage et la praxie. En effet, l'enfant dyspraxique montre de grandes difficultés dans l'ordonnance spatiale de gestes comme l'écriture manuelle, comme on peut le voir dans certains indices comportementaux décrivant la dyslexie où l'enfant intervertit des lettres ou en confond d'autres en percevant l'inverse de la lettre lue.
Des études d'imagerie cérébrale fonctionnelle (MRIf) réalisées par Habib chez des enfants dyslexiques montrent des anomalies dans l'organisation et l'architecture des couches corticales (migration cellulaire anormale dans la couche I) des cortex pariétotemporal (zone périsylvienne gauche dont le lobe inféropariétal, IPL) et préfrontal ainsi que dans les noyaux thalamiques visuels et auditifs où les voies thalamocorticales magnocellulaires sont atteintes. Les déficits du langage sont les symptômes majeurs de la dyslexie. Or, si les voies thalamocorticales visuelles comme auditives sont atteintes, les déficits visuels pourraient subtilement perturber les gestes visuomoteurs intentionnels comme les déficits auditifs perturbent la production du langage.
INFLUENCES ÉMOTIONNELLES ET STRESS DE PERFORMANCE
Tel que C. Turcotte l'a démontré chez l'enfant maladroit, il est vraisemblable que les émotions puissent perturber l’émergence du mouvement pour expliquer certains cas de dyspraxie et de dyslexie.
En effet, J. Paillard a suggéré que la composante affective, impliquant le système limbique, contribue aux processus de transformation idéomotrice et sensorimotrice. De même, les travaux de Porges ont montré l'impact des impressions de menace et de danger sur la gestion psychique du stress, mais aussi sur les systèmes végétatifs et hormonaux, ainsi que l'expression motrice des comportements réactifs au stress.
Étant donné l'impact de l'émotion sur la motricité, on devrait retrouver des traces de cette composante dans les autres structures impliquées dans l’émergence du geste, notamment au niveau du cervelet. D’ailleurs, plusieurs études menées chez des patients ayant une lésion du cervelet ont montré des troubles émotifs. Cependant, ces lésions sont rarement localisées uniquement dans le cervelet, ce qui réduit la portée des résultats et crée une controverse dans le milieu neuroscientifique. Les études électrophysiologiques explorant les influences cognitivo-émotionnelles sur l’intégration sensorimotrice sont par ailleurs rares, car il est difficile d’utiliser des tâches mettant en jeu, avec des paramètres mesurables, les enjeux cognitifs et émotionnels chez l’animal.
Toutefois, Monzée et Smith ont découvert par hasard des neurones cérébelleux dont l’activité semble indiquer la présence d’influences attentionnelles ou émotionnelles. En effet, ils ont enregistré l’activité de neurones des noyaux cérébelleux chez le singe qui effectuait une tâche de préhension, moyennant une récompense si l’essai est réussi. Les cellules impliquées dans la contraction musculaire digitale sont très actives au moment de la saisie de l’objet et actives jusqu’à la relâche de l’objet. Or, certains neurones avaient une activité inattendue: l’activité était accentuée lors de la saisie, mais également juste avant l’obtention de la récompense (sans augmentation de la force musculaire), alors que cette activité disparaissait une fois la récompense reçue, et ce même si la contraction musculaire était maintenue quelques instants. Ces chercheurs ont ainsi démontré que ces cellules étaient influencées par des signaux sensoriels et moteurs, mais également émotionnels ou attentionnels.
Ces résultats concordent avec les travaux de Lalonde et Botez, qui suggèrent que des signaux émotionnels ou cognitifs influent sur l’intégration sensorimotrice dans le cervelet: les projections cérébello-corticale ciblant les aires associatives du cortex cérébral frontal et pariétal pourraient faciliter l’apprentissage cognitivo-moteur dans des tâches d’orientation spatiale ou de discrimination sensorielle. De plus, ils signalent que le système limbique et le collicullus supérieur contribuent à l’apprentissage psychomoteur, par la boucle de rétroaction interne impliquant les voies cérébello-cérébrales. La mémoire psychomotrice serait stockée dans les aires cortico-limbiques, mais elle reposerait sur une interaction constante avec le cervelet.
Cette perspective d’une intégration plus globale offre des preuves neurophysiologiques de l’importance des approches thérapeutiques psychocorporelles. Par exemple, on constate que, à travers les boucles cérébelleuses, la copie efférente et la réafférence affectent le tonus musculaire de base. En fait, le jeune enfant bouge en utilisant des cocontractions musculaires, c’est-à-dire l’activation à la fois des muscles agonistes et antagonistes au mouvement. Cette stratégie accroît le tonus de base et donc le coût énergétique de chaque geste. Progressivement, il apprend à utiliser une contraction réciproque, c'est-à-dire l’activation des muscles agonistes et le relâchement des muscles opposés aux mouvements. Cela réduit le tonus musculaire de base et le coût énergétique. Toutefois, certains individus maintiennent un tonus musculaire nettement supérieur à ce qui est biomécaniquement utile.
Aussi, des interventions thérapeutiques favorisant l’expérience active ou passive d’une réduction du tonus musculaire pourraient contribuer à améliorer la qualité des représentations internes et, ultérieurement, permettre à l’individu d’utiliser une tension musculaire moindre pour réaliser les mêmes gestes. Les enfants maladroits pourraient donc recevoir une aide plus adéquate si l'on tenait compte de leur stress, notamment celui qui découle de ses interactions ou de sa volonté d'atteindre les critères de performance attendus.
Pour en revenir à la dyslexie et la dyspraxie, il est possible que l'enfant qui subit une pression pour "réussir à l'école" puisse avoir de la difficulté à maîtriser ses gestes autant qu'il pourrait avoir de la difficulté à observer certaines lettres ou entendre certains sons, ce qui se traduit par les indices comportementaux associés à la dyslexie. Dans une telle perspective, les processus de traitement tant auditif que visuel seraient perturbés par l'émotion dans les zones du cerveau intégrant ces différentes informations. Et, si l'on y prend garde, le processus diagnostique pourrait être biaisé et les interventions préconisées, centrées sur l'orthophonie, pourraient ne pas rencontrer les réels besoins de l'enfant en termes de développement. Dans un tel cas de figure, il serait intéressant d'envisager également la psychomotricité, la psychothérapie et l'ergothérapie pour aider l'enfant à mieux maîtriser ses émotions et son stress de performance.
RÉFÉRENCES
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- Monzée J., Le rôle du cervelet et du feedback cutané dans la préhension digitale, thèse de doctorat, université de Montréal, 2003
- Monzée J. Emotion et mouvement: organisation neurophysiologique et implications cliniques, dans J. Monzée (dir.) Neurosciences et psychothérapie, Editions Liber, 2009: 221-251.
- Paillard J. L’intégration sensori-motrice et idéo-motrice. Traité de psychologie expérimentale Tome 1, Richelle, M., Requin, J., Robert, M. eds., Presses universitaires de France, 1994, pp 925-955.
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- Porges S.W., «Social engagement and attachment: a phylogenetic perspective», New York Academy of Science (sous-presse).
- Rothi (Gonzalez) L.J., Heilman, K.M. Introduction to limb apraxia. Apraxia :the neuropsychology of action.1997, pp1-6.
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- Rothi (Gonzalez) L.J., Ochipa C. et Heilman, K.M. A cognitive neuropsychological model of limb praxis and apraxia. Apraxia : the neuropsychology of action.1997, pp29-49.
- Schmahmann J. D. et Sherman J. C. , «Cerebellar cognitive affective syndrome», International Review of Neurobiology, vol. 41, 1997, p. 433-440
- Turcotte C., Utilisation d'indicateurs qualitatifs dans l'observation de l'organisation neuromotrice fondamentale de l'enfant maladroit: étude d'un cas, mémoire de maîtrise, université de Sherbrooke, 1996
Mise à jour le Dimanche, 18 Septembre 2011 12:52